Manuela dans la brume

Publié le 22 Décembre 2017

Une micro nouvelle, ça vous dit ? Moins de 8.000 caractères, espaces compris, ça fait 5 minutes de lecture. Je me suis laissée tenter par l’écriture de cette petite histoire dans un genre tout à fait nouveau pour moi : l’imaginaire. Je ne m’y attendais pas, j’ai ADORÉ !

micro nouvelle - science fiction - imaginaire - concours prix imaginarium 2017 short édition - Cara Vitto - Manuela dans la brume

Photo par la NASA sur Unsplash

Manuela dans la brume

Autour de moi, une brume de kouracrite. Je ne vois rien. Rien que de longues volutes d’écumes légèrement bleutées dodelinant sur la roche laiteuse. Ailleurs, tout n’est que brouillard aveuglant et fumée phosphorescente. Manuela est accrochée à mon bras, elle hurle des mots que je ne comprends pas. Je suis encore sonné par l’explosion. À ses gestes secs et nerveux, je comprends : mon masque de silicar est perforé, il m’en faut un autre, vite ! Je tire sur la poignée rouge accrochée à ma combinaison et une coque encercle immédiatement mon visage de sa protection cristalline. Je peux respirer sans me brûler l’intérieur de la gorge, à présent. L’écran du nouveau masque s’allume et je vois Manuela me fixer de son regard perçant des situations d’urgence.

— T’es connecté ?

— C’est bon, j’ai branché le commutoire.

— On va bondir jusqu’au vanSpace. On a été propulsé à trois kilomètres. Pas le temps pour la marche autonome. On a déstabilisé une grosse poche de gaz. Ça va sauter dans cinq minutes. Je branche les propulsars pédestres pour des bonds de cinq mètres, c’est bon pour toi ?

J’acquiesce en hochant la tête. La dernière explosion nous avait projetés comme deux poussières ridicules en dehors de la crevasse. Nous ne résisterons pas à la prochaine. Je suis tellement hébété que je ne sais même pas si je suis allé au bout de l’extraction de la plus prodigieuse et époustouflante boule de kouracrite jamais repérée. La poisse.

— C’est pas vrai ! T’as la jambe paralysée ! T’as rien senti ? Bon, on se solidarise et je branche le propulsar en mode secouriste.

Un voile de silicar se forme aussitôt sur le côté droit de ma combinaison et se soude sur le gauche de Manuela. Nous sommes accrochés des pieds jusqu’aux épaules, prêts à bondir comme une seule bête à trois pattes. Je sens le silicar s’infiltrer le long de ma jambe inerte et s’enrouler autour de celle de Manuela. L’attelle est en place. On n’a jamais eu aussi peu de temps, mais on y arrivera, comme d’habitude.

Tout de suite après la panique, une émotion inattendue apparaît, aussi forte qu’un coup de grisou. Elle surgit de l’intérieur de mes organes : c’est la chaleur de Manuela, pressée contre moi, qui se transforme en un désir brûlant puis en une violente envie de sentir sa chair contre la mienne. Une urgence, encore plus forte que la peur de mourir.

Soudain, la brume s’intensifie, elle devient matière, dense, presque confortable, comme un lit de silicar haut de gamme, comme mon lit, dans l’appartement de la tour Mirma, avec sa vue incroyable sur la ville et sur le Parlement.

Manuela est une géofouineuse talentueuse. Elle dénicherait une boule de kouracrite dans les jardins du Parlement s’il le fallait ! Et comme je maîtrise l’art de m’infiltrer dans les crevasses les plus exiguës, nous formons une des équipes d’extracteurs les plus performantes de Firmi. Comment est-ce que j’aurais pu deviner ce qui allait se passer….

— Bon, tu te réveilles maintenant Charlou !

La brume blanche disparaît. À la place, l’intérieur du vanSpace. C’est beaucoup plus sombre. Plus net aussi. Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai dû perdre connaissance. Manuela n’a pas activé la décoration d’ambiance. Elle est toute seule aux commandes, pas le temps avec le confort. C’est la première fois que découvre l’habitacle du vanSpace brut, sans couleur. C’est pas mal, aussi. Sans fioriture.

Manuela quitte la voie interStellar et rejoint la speedSpace. Elle va pouvoir se brancher en mode automatique, relâcher les manettes et enfin, revenir vers moi. Elle souffle et défait sa combinaison. Ses cheveux auburns scintillent de mille reflets orange. D’un léger mouvement de tête, elle fait voleter ses mèches soyeuses en dégageant son cou et son décolleté si fin et délicat. Je voudrais la prendre dans mes bras, là, maintenant, tout de suite, caresser sa peau de velours et sentir l’odeur de son parfum caché derrière ses cheveux.

— Qu’est ce que t’as foutu, Charlou ? T’avais pas vu la poche de gaz ?

Bien sûr. L’extraction. L‘explosion. Nous sommes vivants. Manuela m’a sauvé. Encore une fois. Je fouille ma poche fébrilement. Si au moins, j’avais le kouracrite, elle serait un peu moins en colère.

— Je l’ai ! Et t’as vu la grosseur ! Incroyable ! Notre plus belle prise. Ça valait le coup, non ?

— T’as encore oublié de mettre tes gants.

— Pas grave.

— Si c’est grave ! Tu m’emmerdes à faire ce que tu veux, quand tu veux, sans écouter les autres ! Bon sang, t’es pas tout seul, Charlou ! Le kouracrite te contamine ! Alors, bordel, fais gaffe !

J’enlève ma combinaison, embarrassé, et m’installe à ses côtés. J’ai du mal à supporter son regard accusateur. Je plonge dans sa colère et découvre encore une nouvelle émotion. Je crève d’envie de l’embrasser.

— Qu’est-ce qui s’est passé hier, Manuela ?

— On ne doit en parler à personne, Charlou, à personne !

— C’était…incroyable, non ?

— Mais enfin, Charlou…. Je ne sais pas si tu réalises….tu aurais pu m’en parler, me prévenir, je suis ta coéquipière tout de même, tu aurais pu me faire confiance. Quand est-ce que tu as commencé à te transformer en homme ?

— Dix mois. Peut-être un an. Tu avais remarqué quelque chose avant…avant hier ?

— Remarqué ou pas, ça ne change pas le problème. C’est à cause des gants, hein ? C’est le contact avec le kouracrite qui provoque cette transformation ? Bon, en tout cas, il faut arrêter, Charlou, c’est trop dangereux.

— Mais Manuela, hier, c’était extraordinaire, à couper le souffle ! Je n’avais jamais ressenti une chose pareille. Et toi non plus, je l’ai bien vu. Tu te rends compte, ça existe vraiment, ce truc qu’on raconte dans les mythes, ce feu d’artifice entre deux corps. C’est pas une histoire, c’est pour de vrai !

— Mais c’est interdit ! Tu deviens un homme, Charlou ! Un homme ! Si on le découvre, tu seras abattu sur le champ !

— Pas de transformation sur la planète Firmi, je sais.

— Si les Cuirassons t’attrapent, ils nous tueront tous les deux, toi pour la transformation et moi pour avoir été ta complice. Sauf si tu arrêtes de toucher du kouracrite et que tu redeviennes comme avant.

— Autant me dénoncer tout de suite et te trouver une autre équipière ! C’est trop fort ce que nous vivons, comment pourrait-on s’en passer ? Non, Manuela, écoute, j’y ai réfléchi toute la nuit, c’est un peu fou, un peu insensé, mais…et si on partait ? Si on allait vivre sur une autre planète ?

— Donc, devenir des fugitifs recherchés par le Parlement.  

— Mais c’est quoi ce speedSpace, Manuela ? Je ne reconnais pas ce chemin. On dirait la voie pour le désert de Nogi. On se rapproche de la caserne des Cuirassons, non ?

Une alarme stridente retentit dans le vanSpace. Elle vient d’en haut. Le toit de silicar se fait transparent et laisse apparaître un BombarSpace impressionnant. Deux Cuirassons en sortent. Ils s’avancent, droits dans leur bulle de silicar et l’un deux commence à fusionner son silicar avec le toit de notre vanSpace pour le traverser.

— Qu’est-ce que tu as fait Manuela ?

Ma bien-aimée est livide. Son regard multicolore cherche désespérément quelque chose par terre, des mots qu’elle n’arrive pas à me dire.

— Je savais, Charlou. Je savais tout. Depuis le début.  

— Tu m’as trahi ?!

Le Cuirasson est presque à l’intérieur. Il descend et quitte sa bulle de silicar en me regardant. Il n’y a aucune émotion dans ses yeux.

— C’est lui, là ? Charlou ? Bon, allez, on y va.

— Comment as-tu pu me faire ça, Manuela ? Pourtant, j’étais persuadé, hier…

Manuela fouille nerveusement dans sa poche et en sort une petite boule de kouracrite qu’elle donne aussitôt au Cuirasson.

— Une boule de 250. Comme convenu. Maintenant, tu désactives nos deux identités des tablettes du Parlement.

Le Cuirasson attrape la boule, la fourre dans sa poche et se met à pianoter sur son bras en le montrant à Manuela. Puis, il repart, l’air satisfait et renfrogné à la fois.

— Je savais, Charlou. Je savais tout. Bien avant toi. Et il faut croire que je suis amoureuse depuis bien plus longtemps que toi.

 

 

La Nouvelle participe au concours du prix imaginarium 2017 (ouvert jusqu’au 7 janvier). Si vous l’aimez, vous pouvez voter pour elle, et/ou lire/liker les nouvelles des autres participants. Elles en valent toutes la peine !  

Si vous voulez voter ==> c'est par ici (à la fin de la nouvelle)

Rédigé par Cara Vitto

Publié dans #Écrire et publier

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article