Publié le 2 Avril 2022
Je suis tombée par hasard sur Le silence des vaincues de Pat Barker en allant acheter Les misérables et Le Cid pour mon fils. C’est le bandeau rouge qui a attiré mon attention : « Une formidable réécriture de la guerre de Troie au féminin ». J’ai tout de suite pensé à Circé de Madeline Miller que j’ai adoré car il aborde le mythe du même nom avec un point de vue féminin, ce qui est, il me semble, assez rare.
J’ai donc commencé la lecture avec beaucoup d’intérêt et j’ai très vite réalisé que l’histoire se croisait avec le premier roman de Madeline Miller que j’ai également beaucoup aimé : Le chant d’Achille. Ce dernier raconte une partie du mythe d’Achille en se focalisant sur la relation entre Achille et Patrocle. Pat Barker, l’autrice du roman Le silence des vaincues raconte la vie de Briséis, captive d’Achille. C’est donc une belle continuité et c’est fort intéressant de lire ces deux romans dans la foulée. Je note d’ailleurs des divergences : Dans Le chant d’Achille (Madeline Miller), Achille ne se préoccupe que de Patrocle, son grand amour, et délaisse copieusement Briséis dont il se fiche comme de sa première cuirasse. Dans Le silence des vaincues (Pat Barker), au contraire, Achille passe consciencieusement sur le corps de Briséis chaque soir avant d’aller ronfler à côté de Patrocle.
Personnellement, je préfère le Achille de Madeline Miller qui est amoureux de Patrocle et qui laisse dormir tranquillement Briséis après que cette dernière ait terminé sa journée de travail/esclave. Je le trouve nettement plus délicat dans cette version…
J’aime tout de même La lecture du roman Le chant des vaincues, même si mon petit côté féministe regrette que le destin d’une femme soit une fois de plus raconté sous l’angle d’une esclave/dominée/victime. Mais c’est la vie de Briséis, me direz-vous. C’est comme ça, on ne peut pas le changer ! Soit. C’est ce qui se raconte à propos de ce mythe.
Mais un mythe, c’est une histoire, donc, ce n’est pas vrai, et ce que nous en gardons dépend de ce que nous en disons.
Un mythe, c’est ce que nous, les hommes et les femmes racontons de lui. Un mythe, c’est le reflet de notre regard sur le monde. Alors, on peut s’interroger : pourquoi choisir un angle de vue plutôt qu’un autre ? Pourquoi raconter une histoire plutôt qu’une autre ? Pourquoi mettre en avant des rois guerriers plutôt que des reines puissantes ?
Ce choix en dit long sur nous, notre société et sur notre capacité à perpétuer des idées préconçues et discriminantes.
Dans le roman Le chant des vaincues, Briséis n’est pas réellement le sujet. Elle n’existe pas en tant qu’individu, elle existe en tant que prise de guerre. C’est un trophée, une proie.
Dans Circé, de Madeline Miller, j’ai été agréablement surprise en découvrant que Circé n’était pas représentée comme une victime ou une vilaine sorcière. C’est une femme qui, comme les grandes figures de la mythologie, rencontre des épreuves, y fait face, combat, prend sa vie et son destin en main du mieux qu’elle le peut. Elle est pleinement le sujet. Elle assume sa vie, ses désirs, ses choix. Et c’est ce que j’ai beaucoup aimé dans ce roman (en plus de découvrir la merveilleuse plume de Madeline Miller). Les filles qui liront ce livre pourront s’identifier, se sentir fortes dans les épreuves. Et c’est ça la vie que l’on peut souhaiter à nos filles : qu’elles deviennent des adultes responsables et qu’elles surmontent les épreuves qu’elles croiseront nécessairement un jour au cours de leur existence.
A contrario, s’identifier à Briséis, reine devenue esclave résignée, trophée de guerre qui passe d’un maître à l’autre en prenant quelques baffes au passage ne rend service à personne.
Je me demande pour quelle raison les femmes sont encore dépeintes de nos jours comme celles qui tiennent le second rôle, celles qui subissent, celles qui se font discrètes et modestes, celles qui se plient aux volontés des autres, celles qui refoulent leurs désirs…
Allez, les filles, réveillez-vous ! Écrivaines : choisissez le point de vue de la femme sujet et non sous-sujet ! Lectrices : choisissez des livres qui mettent en avant les reines puissantes que nous sommes ! Allez les filles, affirmez-vous ! Vous pouvez jouer le premier rôle, être puissantes, désirantes et être femmes tout de même !
P.S : mon correcteur de textes me propose de remplacer « Désirante » par « Délirante », drôle non ? À croire qu’être « délirante » convient bien mieux à une femme que d’être « désirante ».
C’est pas gagné, les copines…